En
Ardèche, j’ouvre ma valise cinq minutes à peine après être descendue du car,
j’en sors mon ciré jaune et je l’enfile pour me protéger de ces grosses gouttes
qui tombent depuis que l’on a quitté Montélimar, je vérifie les prévisions
météo une énième fois, et je me dis que j’ai vraiment mal choisi les dates de
mon séjour, qui sera probablement un peu trop marqué par les pluies et les
orages. Place de la Paix, je me demande s’ils m’ont oubliée, et puis je me dis
qu’ils sont toujours très occupés, alors j’attends. Je ne reconnais pas la
voiture, mais je reconnais le sourire derrière la vitre, la main qui me fait
signe et la voix qui lance « Salut, la Bretonne ! » quand il
m’embrasse, avant d’ouvrir le coffre et d’y glisser ma valise. Contrairement à
mon habitude, je ne cours pas enfiler mon maillot de bain à peine installée, et
contrairement à mon habitude, je ne dormirai pas dans la grande chambre du
fond. Quand la pluie cesse, on part marcher un peu, histoire de se dégourdir
les jambes et de sortir le chien, qui n’a, il est vrai, « que » cinq
mille mètres carrés à sa disposition. On s’arrête au bout de 100 mètres pour
goûter les pêches du voisin, qui râle contre la grêle tombée il y a trois
jours, et les glaçons qui serviront pour le Pastis mais ont détruit ses
tomates. Je ramasse les bouteilles balancées dans le fossé, parce que ce coin
est si beau et ces marques d’incivilité m’agacent. On rentre avant l’orage, je
me plonge dans mon livre, et quand je lève les yeux, il y a cette lumière si
spéciale qui suit le ciel noir, et deux arcs-en-ciel juste en face de la
terrasse. Ils se souviennent que je ne mange ni viande, ni poisson, et je pense
à Papy quand son fils, qui lui ressemble tant, me dit qu’il est « tombé
dedans quand il était petit ».
En Ardèche, on part voir une maison qui a de jolis
volets, on en profite pour aller visiter un hameau magnifique mais déserté,
puis pour se rendre chez un producteur d’huile d’olive, qui nous fait goûter
ses huiles à la petite cuillère, nous explique qu’une bonne huile doit toujours
un peu gratter la gorge, et que ça s’appelle l’ardence. Il nous emmène sur la
terrasse, la vue est magnifique, et quand on s’exclame devant le spectacle, il
répond « Oh, vous savez, je suis né ici. », il râle contre les
bourrus, contre l’Union Européenne, contre les touristes et encore contre les
bourrus, contre les inspecteurs de l’hygiène et les contrôleurs de label bio,
il râle beaucoup mais avec le sourire, et on repart avec de l’huile d’olive et
du pesto, de l’huile essentielle de lavande pour la voiture, et du savon pour
moi, parce que j’adore les pains de savon qui sentent bon.
En Ardèche, je trouve un petit mot sur la table de la
cuisine, des croissants frais et un bol de groseille du jardin, je mets la
cafetière en route et, dans le silence, je me régale de ces délices si simples.
Les températures ont fini par grimper, je fais des ronds dans l’eau pour fêter
la mention Bien de mon M1, en attendant leur retour pour leur annoncer la bonne
nouvelle, pour laquelle ils s’empressent de me féliciter. Après le déjeuner, je
trouve un casque de moto, un blouson et des gants en bas des escaliers, et je
m’apprête pour mon baptême. Bien sûr, je suis morte de trouille. Je ne crains
ni la hauteur, ni le vide, ni les eaux profondes, trois choses auxquelles je
suis régulièrement confrontée quand je viens ici, mais la route et la vitesse,
oh la la, j’ai vraiment peur, sauf que je m’abstiens de le mentionner, il est hors de question d’avouer ça. Alors oui, les
premiers kilomètres sont difficiles, parce que je ne sais pas comment
m’installer, parce que je suis raide d’angoisse et que j’ai déjà mal aux bras à
force de serrer fort fort fort les poings, et quand il crie « Ca va, t’as
pas peur ?! », je m’efforce d’être convaincante, mais je ne sais même
pas s’il entend mon mensonge, « Nan, nan, t’inquiète ! »
Pourtant, très vite, je me laisse emporter, apaiser, je profite simplement du
paysage, je m’habitue aux sensations et aux virages, je trouve ma place, je
laisse la confiance reprendre ses droits. Je n’en perds pas une miette, les
paysages sont splendides, je n’avais jamais vu cette région comme ça, je
n’avais connu ça, et à un moment, je me rends compte que j’adore et que je ne
regrette pas une seule seconde d’avoir enfourché cet engin. Plus on monte, plus
les températures dégringolent, mais je me moque du froid, je me moque de la
pluie, je me moque du vent sur mes chevilles et de mes Converse qui ne sont
absolument pas appropriées à une balade pareille. Je claque des dents et je me
dis que s’il m’emmène manger une glace, je commanderai quelque chose de chaud.
Quand on arrive là-haut, je mange le meilleur moelleux aux châtaignes de toute
ma vie, et je lui parle de nos précédents passages ici, mais si, souviens-toi,
après le canyoning, avec Lea, et après le Pont du Diable. On repart, je
découvre d’autres coins, d’autres trous perdus où il ferait bon passer quelques
jours, quelques semaines. Quand je rentre, je suis engourdie, j’ai mal un peu
partout et surtout à la nuque, mais ça n’a aucune importance, ces quelques
heures m’ont tellement étonnée que mes muscles endoloris se font vite oublier.
En Ardèche, on va aux Vans le samedi matin, il fait
chaud, il y a du monde, et on pense à notre producteur d’huile d’olive en voyant
tous ceux qu’il appelle les bourrus. On goûte du vin et du melon, on me propose
du saucisson et je dis non, merci, alors que c’était l’une de mes faiblesses il
y a encore quelques mois, pas si lointains. On poursuit jusqu’au village des
Naves, et en pointant un endroit par là-bas, il me raconte les excursions qu’il
faisait avec ses collègues et élèves, avant.
En Ardèche, je me laisse embarquer, je pars marcher,
et si nos 13 km peuvent paraître peu à certains, c’est un exploit pour moi qui
déteste – ou détestais – ça, je garde le sourire toute la matinée, je ris quand
on se perd et qu’on fait un détour, et je suis récompensée à l’arrivée par de
merveilleux hortensias. On part en voiture sur les traces de l’Ardéchoise, je
découvre Ardelaine et sa librairie qui me fait envie, je passe l’après-midi à
me répéter que ce coin de France est quand même plutôt sublime et le soir, au
téléphone, alors que j’ai les pieds dans l’eau, Maman me demande si je ne songe
pas à demander un poste en Ardèche.
En Ardèche, je passe une journée entière à lire sur
la terrasse et à plonger dans la piscine quand il fait trop chaud, à me
tartiner de crème solaire et à savourer le calme, les yeux sur le jardin, la maison,
et tous les souvenirs qui vont avec. Si je peux dire que la piscine était plus
grande quand j’étais plus petite, ce n’est pas le cas de cette maison, qui ne
cesse de s’agrandir sans jamais perdre de sa beauté. J'apprends la joie et la déception des amies qui passent l'agreg de lettres, et je souris en pensant au soulagement après les résultats de leur Capes. En allant me coucher, je
dis au revoir et surtout merci pour ce séjour à celui qui ressemble de plus en
plus à Papy, et il me répond « Mais tu rigoles, tu viens ici quand tu
veux ! Merci pour ta visite », et je réponds « Mais tu
rigoles ! », et on sourit.
En Ardèche, je me laisse de nouveau embarquer, cette
fois pour un cours de sport, avec la promesse d’aller cueillir des figues sur
le chemin du retour, et je découvre ce plaisir de choisir les fruits mûrs à
point pour les déposer dans le panier et – parfois – à pleines dents les
croquer. Je profite de la piscine jusqu’à la dernière minute, quitte à boucler
ma valise à la va-vite, et sur la route qui me ramène à Lyon, je songe déjà à
la prochaine fois.
En Ardèche, je n’ai pas tout dit, mais l’essentiel
est là : c’était beau, c’était bien, c’était bon. Merci, M. & F., je reviendrai, comme toujours.