dimanche 6 mars 2016

2 - alors on a vu la mer

.   Plus de six mois sans faire le trajet Lyon-Rennes, c’est long. J’ai fait d’autres voyages depuis l’été dernier, j’ai traversé la France à plusieurs reprises, j’ai vu mes parents ailleurs et à d’autres occasions que pendant des vacances en Bretagne (pas joyeuse en septembre ; plus heureuse, à Londres, en octobre ; quelques jours en Allemagne pour Noël). Au-delà de leur présence à eux, pourtant, il y avait aussi la maison, le coin de campagne perdu au milieu de la Bretagne, et les souvenirs rattachés à chaque endroit qui me manquaient, qui appelaient la construction d’autres moments, d’autres instants volés à garder dans un coin de ma tête pour les jours de coup de blues, pour les périodes de doutes et de remises en question. Début janvier, les quelques jours passés tous ensemble à AK défilant une fois de plus beaucoup trop vite, j’ai acheté des billets pour faire un aller-retour, mais j’ai décidé de poser ma valise pour un peu plus longtemps que d’habitude, un peu plus longtemps que « pas assez » de jours. 


 
.   En arrivant, un vendredi après-midi, après 4h30 dans un wagon qui comptait beaucoup trop d’enfants à mon goût, je n’avais que trois impératifs, ce qui me semblait raisonnable pour douze jours : voir l’océan, manger des crêpes & des galettes, et profiter de la campagne pour reprendre sérieusement la course, objectif semi-marathon oblige. Non, les deux derniers points ne sont pas contradictoires ou incompatibles. J’ai fait plein de choses très chouettes, j’ai été chouchoutée, je me suis reposée, j’ai écouté Papa et Maman me parler de leurs projets de travaux et d’agrandissement, j’ai enchaîné les kilomètres en baskets au milieu de nulle part, sans croiser personne (ou presque), j'ai apprécié ces quelques jours de février, même s'il n'y avait - évidemment - pas d'hortensias à admirer, j’ai mangé des galettes avant d’aller voir une belle exposition consacrée à Lorenzo Mattotti à Landerneau.  Après cette expo, je voulais qu’on s’arrête, quelque part en route, au bord de l’océan, mais c’était le déluge (Ou plutôt, « Quel beau temps ! s’écria McCookies »). 



.    Et puis un jour de grand beau temps (ça arrive, oui !), même s’il faisait bien froid, on s’est dit que c’était maintenant qu’il fallait y aller, et on a filé à La Trinité. La rue qui donne sur le port est un peu défigurée par toutes les boutiques de gourmandises et de fringues qui s’y sont installées, mais quand on prend les petites rues, il y a plein de jolies maisons en pierre, aux volets bleus, et c’est mignon comme tout. 



.    On a continué notre petit circuit en filant à Carnac, pour marcher sur la plage, et ça m’a fait un bien fou. J’ai pensé à ce prof de voile, qui nous rappelait tous les mercredi, sans exception, au moment où on passait l’isthme de Penthièvre, avant d'arriver au Pouliguen, de savourer : « Maintenant, dites-vous que certains prennent le métro tous les matins et s’enferment sous terre, quand vous pouvez voir ça au moins une fois par semaine ! », et ça m’a manqué, de voir ça une fois par semaine, alors j’en ai profité autant que j’ai pu. Et j’ai pensé à mes frères et mes cousins, je les ai imaginés disant, ou plutôt criant « On va voir la meeeer ! » quand ils disaient au revoir à Papy et Mamie. Alors j’ai eu une pensée pour eux deux, aussi, même si les souvenirs sont de plus en plus flous, de plus en plus difficiles à convoquer et rassembler. Pourtant, j’étais heureuse d’être là, et Maman a fait quelques photos de mes sauts de joie. À cette période, les maisons de Carnac sont quasiment toutes fermées, et c’est un peu triste de savoir qu’il y a de si chouettes endroits dont personne ne profite, parce que les propriétaires sont trop occupés à bosser ailleurs … On est passé par les alignements, qui m’intriguent toujours autant, on a vu Saint-Goustan de loin, on a pris la route que j’adore prendre en été - quand on a mis les affaires de plage dans le coffre, qu’on a enfilé nos maillots de bain, et qu’on va plonger dans l’eau qui est toujours à la bonne température - et on a retrouvé la maison. 



  Mes trois impératifs étaient remplis, même si je n’avais pas pu tremper mes orteils dans l’eau glacée, j’avais au moins vu la mer et respiré l’air salé. C’est ce que j’ai essayé de me répéter en boucle, pour ne pas pleurer, dans le train qui me ramenait à Lyon, au milieu d'un wagon où il y avait - pire que des enfants heureux d’être en vacances – des adultes en déplacement professionnel qui parlent beaucoup trop fort et se croient seuls au monde, alors que j’aurais aimé rester encore. Parce que même plus longtemps que « pas assez » de jours, c’est toujours beaucoup trop court.



(Bretagne - du dix-neuf février au premier mars deux mille seize)